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celle qui me donnerait la vision juste des choses ; les calculs qu’il me fallait faire pour cela me distrayaient un peu de ma souffrance ; et soit par obéissance à la réponse des nombres, soit que je leur eusse fait dire ce que je désirais, je me décidai le lendemain à aller chez les Swann, heureux, mais de la même façon que ceux qui s’étant tourmentés longtemps à cause d’un voyage qu’ils ne voulaient pas faire, ne vont pas plus loin que la gare, et rentrent chez eux défaire leur malle. Et, comme, pendant qu’on hésite, la seule idée d’une résolution possible (à moins d’avoir rendu cette idée inerte en décidant qu’on ne prendra pas la résolution) développe, comme une graine vivace, les linéaments, tout le détail des émotions qui naîtraient de l’acte exécuté, je me dis que j’avais été bien absurde de me faire, en projetant de ne plus voir Gilberte, autant de mal que si j’eusse dû réaliser ce projet, et que, puisque au contraire c’était pour finir par retourner chez elle, j’aurais pu faire l’économie de tant de velléités et d’acceptations douloureuses. Mais cette reprise des relations d’amitié ne dura que le temps d’aller jusque chez les Swann ; non pas parce que leur maître d’hôtel, lequel m’aimait beaucoup, me dit que Gilberte était sortie (je sus en effet dès le soir même, que c’était vrai, par des gens qui l’avaient rencontrée), mais à cause de la façon dont il me le dit : « Monsieur, mademoiselle est sortie, je peux affirmer à monsieur que je ne mens pas. Si monsieur veut se renseigner, je peux faire venir la femme de chambre. Monsieur pense bien que je ferais tout ce que je pourrais pour lui faire plaisir et que si mademoiselle était là, je mènerais tout de suite monsieur auprès d’elle. » Ces paroles, de la sorte qui est la seule importante, involontaires, nous don-