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794 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

peindre et il ne cache pas le plaisir qu'il a à nuancer sur sa palette les couleurs infiniment tendres qui sont celles qu'on voit aux Gozzoli de Pise et aux tableaux d'autel de Fra Angelico. — Mais pour dresser enfin le dôme, pour écrire la grande vie de Saint François ^ qui ne pâlira pas — c'est le plus bel éloge qu'on puisse en faire — à côté de celle de Sabatier, il dépouille sa fantaisie : l'artiste a résolu de se doubler d'un érudit. Il s'astreint, des années durant, au plus ingrat labeur critique. Puis chaque texte, chaque détail du texte, il tient à l'éprouver au jour. Pas une pierre où Saint François ait pu s'asseoir, pas un bosquet où les oiseaux « ses frères » se soient posés au-dessus de sa tête, pas une de ses traces à la route, que Joergensen n'ait « relevés » sur le ter- rain. Il aura respiré dans la même saison l'air de Rivo Torto et de l'Alverne, à toutes les heures du jour contemplé le même pays, enfin prié aux mêmes places. Il a chassé des textes ce qui semblait douteux ; la nature, qui ne ment pas, comble les vides de l'histoire. Ayant vécu avec scrupule une « imitation » du saint, comme le saint avait vécu une « imitation » de son maître, il est prêt et n'a plus qu'à laisser la plume courir.

Dès lors, Joergensen a trouvé sa voie. Pourquoi chercher ailleurs ? Que proposer au monde sinon l'exemple des héros de la chrétienté ? Quel sujet plus digne de l'art ? Il sera le Jacques de Voragine d'un temps décatholicisé. Par lui, les saints qu'il aime rentreront dans la vie ; ils valent bien Zarathoustra.

Les saints sont les aventuriers de l'Eglise. Ils veulent devant eux le plus profond espace. L'Eglise est assez vaste puisqu'elle monte jusqu'à Dieu. Ils en sortent parfois, mais pour y rentrer plus dociles. Tous n'y sont pas nés, mais tous y mourront. Ceux-ci auront couru la moitié de leur aventure

I. Saint François d'Assise. (Periin, i vol.)

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