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une souffrance localisée et partielle — qui ne pourrait au contraire être apaisée que si, renonçant à plaire à cette femme et à lui faire croire que nous pouvons nous passer d’elle, nous allions la retrouver. Qu’on retire du plateau où est la fierté une petite quantité de volonté qu’on a eu la faiblesse de laisser s’user avec l’âge, qu’on ajoute dans le plateau où est le chagrin une souffrance physique acquise et à qui on a permis de s’aggraver, au lieu de la solution courageuse qui l’aurait emporté à vingt ans, c’est l’autre, devenue trop lourde et sans contre-poids suffisant, qui nous abaisse à cinquante. D’autant plus que les situations, tout en se répétant, changent, et qu’il y a chance pour qu’au milieu ou à la fin de la vie on ait eu pour soi-même la funeste complaisance de compliquer l’amour d’une part d’habitude que l’adolescence, retenue par trop d’autres devoirs, moins libre de soi-même, ne connaît pas.

Après avoir écrit à Gilberte une lettre où je laissais tonner ma fureur, non sans pourtant jeter la bouée de quelques mots placés comme au hasard, et où mon amie pourrait accrocher une réconciliation, le vent ayant tourné, c’était des phrases tendres que je lui adressais pour la douceur de certaines expressions désolées, de tels « jamais plus », si attendrissants pour ceux qui les emploient, si fastidieux pour celle qui les lira, soit qu’elle les croit mensongers et traduise « jamais plus » par « ce soir-même, si vous voulez bien de moi », ou qu’elle les croit vrais et lui annonçant alors une de ces séparations définitives qui nous sont si parfaitement égales dans la vie quand il s’agit d’êtres dont nous ne sommes pas épris. Mais puisque nous sommes incapables,