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NOTES 789

Pour arriver à nous mettre tout entiers au service du pays, nous avons dû sacrifier tant de goûts, de préférences, d'habitudes intellectuelles, l'effort a été si rude que, s'il faut recommencer à brève échéance, nous demandons à ne pas perdre notre entraînement. A notre âge, on n'est plus assez souple pour se donner et se reprendre plusieurs fois. Pendant cinq ans, nous n'avons raisonné, jugé, espéré qu'en fonction de la France. Parfois il nous a fallu haïr là où nous aurions peut-être éprouvé naturellement de la sympathie ; il nous a fallu nouer des amitiés auxquelles notre instinct ne nous aurait peut-être pas portés. Puisqu'on nous accorde quelque répit, corrigeons ce que la nécessité nous avait imposé d'un peu trop contraire aux démarches naturelles de notre esprit ; mais nous n'allons pas, à la façon des politiciens, changer d'alUances comme de chemises. Notre attitude pendant la guerre n'a rien eu de commun avec un geste poUtique ; nous ne nous sommes pas prêtés mais donnés ; ce n'est pas la même chose.

Je reconnais parfaitement que l'intelHgence n'a toute sa force créatrice et toute sa vertu de rajeunissement que si elle peut, à certains moments et dans certains esprits, s'exercer, s'éployer et prendre son élan, sans aucune préoccu- pation utilitaire. Mais ces beaux ébats, ces fécondes révoltes ont besoin d'espace et de loisir. Il faut avoir beaucoup de temps si l'on veut pouvoir faire des écoles, revenir sur ses pas ; il faut jeter sa vieille armure pour en essayer une nou- velle, c'est-à-dire rester momentanément désarmé. Pour cela, il ne faut pas que le Boche puisse nous retomber sur le dos d'une minute à l'autre.

Tu l'as fort bien montré toi-même : toute une partie de l'humanité tend à aliéner certaines prérogatives de sa liberté afin de s'assurer plus de bien-être. C'est une puis- sante tactique et qui a ceci de fâcheux qu'elle force les autres à faire de même, s'ils ne veulent pas être anéantis. Or, tant

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