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LÉGÈRE ESQUISSE
DU CHAGRIN QUE CAUSE UNE
SÉPARATION ET DES PROGRÈS
IRRÉGULIERS DE L’OUBLI[1]

J’allais passer par une de ces conjonctures difficiles en face desquelles il arrive généralement qu’on se trouve à plusieurs reprises dans la vie et auxquelles, bien qu’on n’ait pas changé de caractère, de nature — notre nature qui crée elle-même nos amours, et presque les femmes que nous aimons, et jusqu’à leurs fautes — on ne fait pas face de la même manière à chaque fois, c’est-à-dire à tout âge. À ces moments-là notre vie est divisée, et comme distribuée dans une balance en deux plateaux opposés où elle tient tout entière. Dans l’un, il y a notre désir de ne pas déplaire, de ne pas paraître trop humble, à l’être que nous aimons sans parvenir à le comprendre, mais que nous trouvons plus habile de laisser un peu de côté pour qu’il n’ait pas ce sentiment de se croire indispensable qui le fatiguerait de nous ; de l’autre côté, il y a une souffrance — non pas

  1. Fragment du Tome II de À la recherche du Temps perdu, qui paraîtra, dans la première semaine de Juin, aux éditions de la Nouvelle Revue Française, sous le titre de À l’ombre des Jeunes Filles en fleurs, en même temps qu’un volume de Pastiches et Mélanges et que la réimpression de Du côté de chez Swann.