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LA SYMPHONIE PASTORALE 77I

— Dites qu'ils ne sont pas moins beaux.

— Ils sont aussi beaux que tu les vois.

— « Et je vous dis en vérité que Salomon même, dans toute sa gloire, n'était pas vêtu comme l'un d'eux, » dit-elle, citant les paroles du Christ, et d'entendre sa voix si mélodieuse, il me sembla que j'écoutais ces mots pour la première fois. « Dans toute sa gloire, » répéta-t-elle pensivement, puis elle demeura quelque temps silencieuse, et je repris :

— Je te l'ai dit, Gertrude : ceux qui ont des yeux sont ceux qui ne savent pas regarder. Et du fond de mon cœur j'entendais s'élever cette prière : «Je te rends grâces, ô Dieu, de révéler aux humbles ce que tu caches aux intelligents ! »

— Si vous saviez, s'écria-t-elle alors dans une exal- tation enjouée, si vous pouviez savoir combien j'imagine aisément tout cela. Tenez ! voulez- vous que je vous décrive le paysage ?... Il y a derrière nous, au-dessus et autour de nous, les grands sapins au goût de résine, au tronc grenat, aux longues sombres branches horizontales qui se plaignent lorsque veut les courber le vent. A nos pieds, comme un livre ouvert, incliné sur le pupitre de la mon- tagne, la grande prairie verte et diaprée, que bleuit l'om- bre, que dore le soleil, et dont les mots distincts sont des fleurs, — des gentianes, des pulsatilles, des renoncules, et les beaux lys de Salomon — que les vaches viennent épeler avec leurs cloches, et où les anges viennent lire, puisque vous dites que les yeux des hommes sont clos. Au bas du livre, je vois un grand fleuve de lait fumeux, brumeux, couvrant tout un abîme de mystère, un fleuve immense, sans autre rive que, là-bas, tout au loin devant

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