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LA SYMPHONIE PASTORALE 743

je n'ai jamais cru que j'eusse beaucoup à m'occuper d'eux. J'ai souvent éprouvé que la parabole de la brebis éga- rée reste une des plus difficiles à admettre pour certaines âmes, qui pourtant se croient profondément chrétiennes. Que chaque brebis du troupeau, prise à part, puisse aux yeux du berger être plus précieuse à son tour que tout le reste du troupeau pris en bloc, voici ce qu'elles ne peuvent s'élever à comprendre. Et ces mots : « Si un homme a cent brebis et que l'une d'elles s'égare, ne laisse- t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s'est égarée ?» — ces mots tout rayonnants de charité, si elles osaient parler franc, elles les déclareraient de la plus révoltante injustice.

Les premiers sourires de Gertrude me consolaient de tout et payaient mes soins au centuple. Car « cette brebis, si le pasteur la trouve, je vous le dis en vérité, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf autres qui ne se sont jamais égarées». Oui, je le dis en vérité, jamais sourire d'aucun de mes enfants ne m'a inondé le cœur d'une aussi séraphique joie que fit celui que je vis poindre sur ce visage de statue certain matin où brus- quement elle sembla commencer à comprendre et à s'in- téresser à ce que je m'efforçais de lui enseigner depuis tant de jours.

Le 5 mars. J'ai noté cette date comme celle d'une naissance. C'était moins un sourire qu'une transfigu- ration. Tout à coup ses traits s'animèrent ; ce fut comme un éclairement subit, pareil à cette lueur purpurine dans les hautes Alpes qui, précédant l'aurore, fait vibrer le sommet neigeux qu'elle désigne et sort de la nuit ; on eût dit une coloration mystique ; et je songeai également

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