714 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
La nuit vient qui efface l'une après l'autre ces deux voix entre lesquelles votre cœur hésita
Ce soir d'été jadis ;
— Ces deux braves dont le cœur était plus haut que la mort.
PENSÉE. — Ne viendra-t-elle pas aussi pour moi tout de bon ?
ORSO. — Votre devoir est de vivre.
PENSÉE. — Je vivrai ! Pour qui me prenez-vous ?
Je vivrai pour cet enfant obscur qui est héritier en moi de mon âme avec la sienne !
Tant que l'on voudra ! Toute la vie que l'on voudra jusqu'à la dernière minute ! Moi qui fais la vie, est-ce que je n'aurai pas le courage de l'accepter ?
ORSO. — Demain le prêtre nous unira.
PENSÉE. — Je serai une femme loyale.
ORSO. — Ainsi vous aurez accompli ce qu'Orian vous demandait.
PENSÉE. — Vous le pensez ? Ah ! il est difficile pour celui qui aime de faire tout ce que l'amour lui demande !
C'est pourquoi l'odeur de ces fleurs est plus enivrante pour moi que celle du laurier, le laurier qui parle de la victoire !
Ne pouvoir rendre amour pour amour.
Aimer, comme moi, et ne pouvoir le faire comprendre — avoir sa tâche comme lui et ne l'avoir pu faire, —
Ah, c'est là le parfum mortel qui fait se rompre ces globes d'ivoire !
Rome, 30 juin 1916, S. Paul, Ap.
PAUL CLAUDEL
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