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LA PENSÉE FRANÇAISE DEVANT LA GUERRE 667

morale, défaut de probité intellectuelle. Notre attitude actuelle est donc solidaire d'une discipline. Elle suppose cette présence d'esprit et cette maîtrise de la sensibilité qui sont nos qualités essentielles.

Aussi devons-nous nous garder de toute attitude senti- mentale. Sans doute nous sommes plus que jamais portés à l'émotion et sans direction véritable. Les groupements politiques, prisonniers des formules d'avant-guerre, de- meurent en face d'un monde qui se refait, insensibles à la nouveauté des choses. Les groupements intellectuels témoignent d'une inconscience étrange. L'opinion se penche sur le cours capricieux des événements pour y retrouver le reflet de son angoisse et de ses alterna- tives irraisonnées. Mais cette crise est passagère. Sous la pression irrésistible du réel, chaque jour une idée toute faite se désagrège et nous nous rapprochons de la lucidité. Nous devons laisser le retour progressif à la vie logique s'opérer normalement, car il n'est de convic- tion sûre que celle qu'on acquiert par soi-même. Mais il faut écarter l'anti-intellectualisme d'avant-guerre qui ne pourrait que prolonger le divorce de la pensée critique et de l'opinion au prix d'influences étrangères.

Ce n'est pas que nous devions nous défendre de toute influence. Nous avons des affinités avec la pensée anglo- américaine : même positivité, même goût du détail concret même sentiment de l'expérience; dans notre passé, les contacts avec l'Angleterre furent féconds. L'introduction de la pensée anglaise en France au xviii^ siècle a donné aux sciences de la nature, aux sciences pohtiques et aux méthodes expérimentales une impulsion nouvelle. Vers 1860, l'action de Stuart Mill et de Spencer a permis à des

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