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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 6ll

à leur schéma essentiel, à leur substance ou à leur loi. L'aven- ture de Robinson est la plus extraordinaire qu'un homme puisse vivre, et en même temps on la voit à la portée de cha- cun. Tout coin de terre où nous sommes peut nous devenir l'île de Robinson. Il suffit que nous nous retrouvions nous- mêmes. André Gide a réuni dans un même volume Paludes et le Voyage d'Urien, et en effet Paludes comporte autant d'aventures curieuses que le Voyage d'Urien. Le poêle de Descartes, la chambre de Hollande où il écrit les Médita- tions, voilà d'autres îles de Robinson, et les motifs trans- cendants de l'aventure, motifs qui descendent pour prendre corps et se charger de matière dans la durée et dans le roman. Le vrai, le pur et le transparent roman d'aventures, c'est celui dont la dernière démarche consiste à abdiquer l'illusion de l'aventure, à enterrer comme Prospero sa baguette magique, à reconnaître que l'aventure est partout, et qu'il suffit de regarder avec certains yeux la vie humaine la plus simple pour la voir s'installer, s'éployer, éclatante d'imprévu, dans le royaume de l'extraordinaire.

ALBERT THIBAUDET

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