53^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
SICHEL. — N'as-tu pas entendu ce que disait le Prince, tout à l'heure ?
PENSÉE. — C'est vrai que tu as fait de moi un si bel Automne
Qu'on l'appelle à bon droit cette saison où le soleil est plus près de nous et qu'il se laisse vendanger à pleins rayons.
Comme une vigne animée de tant de grappes qu'elle fait rompre tout et qu'elle ne réussit plus à tenir à ce mur où on l'avait crucifiée ?
Un Automne si ardent, le moment qui consomme tout, que toutes les autres saisons y cuisent ?
Ma grande vigne pleine de grappes qui croule dès que son maître y touche et dont il est comme submergé, ce grand pampre-ci que les bras ne suffisent pas à main- tenir, ah, ce n'est pas avec les yeux seulement qu'il en connaîtra le fruit, voici l'ivresse pour les lui fermer !
Et pour en épuiser la sève, ce n'est pas affaire seule- ment que de la saisir.
SICHEL. — C'est ainsi que parle la Fiancée de Salomon dans nos livres.
PENSÉE. — Mon sang est le tien, mère.
SICHEL. — Oui, tu es une Juive comme moi. Et cepen- dant il y a en toi quelque chose qui ne vient pas de nous autres et qui m'étonne.
PENSÉE. — Cela qui vient de mon père ?
SICHEL. — Oui, ou de plus loin. — Tu sais qu'entre ton père et moi, tu peux appeler cela un mariage, oui, ce fut une espèce d'alliance réfléchie.
— Quelque chose d'entièrement nouveau et qui n'est pas de nous.
�� �