46 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
taigne, que Descartes ou que Pascal, quoi de plus russe que Dostoïewsky ; et quoi de plus universellement humain que ceux-là ? Je n'ose dire, il est vrai, quoi de plus allemand que Gœthe ? Car à l'endroit de l'Alle- magne, la Prusse est responsable d'un terrible malen- tendu. La Prusse a si bien asservi l'Allemagne qu'elle nous a forcés de penser : Gœthe était le moins allemand des Allemands.
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��S'il me fallait indiquer, de toute la littérature française, le livre dont le génie allemand se montrait le plus inca- pable, je crois bien que je choisirais les Caractères de La Bruyère 1. 11 me paraît que rien n'est plus français, moins allemand, que ce que j'appellerai: l'esprit de discrimina- tion. N'étant jamais particulier lui-même, l'Allemand ne sent la particularité d'aucun être ni d'aucune chose ; il n'a jamais su dessiner. La France est la grande école de dessin de l'Europe et du monde entier.
ANDRÉ GIDE
I. Comme aussi, de toute notre littérature, il me semble que le livre que l'on s'imaginerait le plus facilement écrit en Allemagne c'est Jean Christophe et de là sans doute son succès d'outre-Rhin.
C'est ime profonde erreur de croire que l'on travaille à la culture européenne avec des œuvres dénationalisées ; tout au contraire, plus particulière est l'œuvre, plus utile elle devient dans le concert. Il importe de le répéter sans cesse, car une confusion tend à s'éta- blir entre culture européenne et dénationalisation. De même que l'écrivain le plus individualisé est aussi celui qui présente l'intérêt le plus humainement général, l'œuvre la plus digne d'occuper la culture européenne est d'abord celle qui représente le plus spé- cialement son pays d'origine.
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