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Mais il faut nous rendre compte que les Russes n’ont pas de quoi percevoir cette tyrannie : elle ne froisse et ne contrarie en eux que des velléités idéalement faibles, tandis qu’elle en flatte au contraire et en favorise de très puissantes : et d’abord le besoin de commandement collectif. Le Russe n’imagine rien de plus beau que de pouvoir discuter, décréter, régenter, mais toujours par le moyen et par l’intermédiaire du groupe auquel il adhère. Il se moque pas mal d’être morigéné et même violenté en tant qu’individu, il recevra volontiers le fouet, pourvu qu’il puisse, en tant que membre de quelque « conseil », manifester son autorité, prescrire des règlements, dicter des lois.

Encore une fois le soviet lui donne toutes les satisfactions dont il a jamais pu rêver : c’est d’abord un endroit où l’on est à plusieurs, où l’on peut bavarder et se plaindre ensemble ; où l’on peut se livrer, sans crainte désormais d’être dérangé par la police, à ces interminables razgovori[1] dont parle M. Antonelli[2]. C’est ensuite un moyen de fixer aux individus des devoirs et des charges, de les rappeler sur un ton mi-grondeur, mi-suppliant, à l’humilité, à la charité, à la misère, de détruire ce produit monstrueux de la liberté qu’est la richesse, de prendre des mesures draconiennes contre l’égoïste initiative de l’industriel et du marchand, de réduire à coups de prikazi[3] tout ce qui dépasse le niveau de l’Évangile. Le Russe est tout entier, avec sa petitesse et avec sa sainteté, dans le soviet. C’est pour lui le milieu idéal, le seul où il puisse vraiment

  1. Conversations, délibérations.
  2. Voir la Russie bolcheviste, p. 72.
  3. Ordre, décret.