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de son âme avec les autres, une fraternité obscure, une mystérieuse disposition à l’amas. En Russie, il n’y a pas de poussée de l’individu comme tel, mais une poussée directe des masses. Ce sont elles qui cherchent l’autonomie politique. Il ne faut s’attendre à y voir parvenir que des colonies d’âmes du genre de celle que je décrivais tout à l’heure[1].

Une fois libres, les Russes ne pouvaient avoir qu’une idée : mettre au monde leur socialisme intérieur, faire aboutir le soviet qu’ils formaient déjà avec leurs cœurs et avec leurs esprits. Le tsarisme au fond ne les gênait que dans la mesure où il voulait les forcer à une unité d’ensemble, qui dépassait leur pouvoir spontané d’agrégation. La violence que nous les plaignions de subir, les brutalités policières, les emprisonnements illégaux, la Sibérie, tout cela ils ne le sentaient pas. Qui eût bien connu leur nature profonde, eût dû prévoir que la disparition de la contrainte tsariste ne pouvait être saluée par eux que comme le moyen de s’organiser enfin en droit, comme ils l’étaient depuis longtemps en fait, c'est-à-dire en groupes, en sociétés, en soviets.

Le bolchevisme n’est peut-être pas un régime viable ; il est peu probable que la Russie le conserve définitivement. Mais elle ne pourra le remplacer qu’en faisant appel à l’étranger, car il est, de toute évidence, le plus naturel, le plus ressemblant à son essence qu’elle ait jamais connu. Il est le produit tout à fait immédiat de

  1. « Pour lui (pour le bolchevik) l’individu n’est rien ; l’âme, l’idée, le « Douch » est tout : le fondement de la vie sociale n’est pas juridique, mais affectif. » (Étienne Antonelli : la Russie bolcheviste, p. 210, Bernard Grasset.)