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la liberté, et au service de quel idéal tout différent il devait fatalement être amené à employer ses forces. Avec un peu de perspicacité nous nous fussions évité la déconvenue presque ridicule que nous a donnée sa révolution.

Je me rappelle avoir eu, dès les premiers temps de ma captivité, la sensation directe de ce que j’appellerai le phénomène du soviet.

Les Allemands nous avaient réunis avec les Russes et distribués en nombre égal dans chaque baraque. C’était, nous disaient-ils, pour que nous apprissions à connaître « nos chers alliés », autrement dit pour nous dégoûter d’eux. Nous vivions donc côte à côte, ou plutôt les uns sur les autres, car nous étions si serrés que pour bien faire il eût fallu le soir nous coucher tous en même temps ; celui qui rentrait après les autres risquait de ne plus trouver entre les corps étroitement tassés l’alvéole à laquelle il avait droit. J’ai vu plus d’un camarade, après beaucoup d’injures, être obligé de s’étendre sur la mince frange de paille aplatie qui dépassait seule les pieds des dormeurs.

Eh bien ! malgré la promiscuité dont ce détail donne une idée, il était curieux de voir comment les Français trouvaient moyen de réserver leur indépendance. Si vous les eussiez vus dans la journée, chacun avait sa petite occupation, qu’il fondît des bagues en aluminium ou sculptât un jeu d’échec, il le faisait tout seul ; pour manger sa soupe, il « dégotait » immanquablement un tabouret ; il avait sa poêle à frire, faite d’une moitié de bidon et pour faire « revenir » son hareng il passait au poêle à son tour. L’espace insuffisant dont nous jouissions était utilisé avec génie pour le maintien de la plus grande discrétion possible entre nous.