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Je voudrais, dans ce qui va suivre, expliquer quelles raisons profondes prédisposaient chacun d’eux à le choisir et, du même coup, le rendaient hostile à notre vieux rêve d’universelle liberté. Ce sont choses peut-être qu’il n’est pas très agréable pour nous de considérer. Mais il faut absolument que nous perdions l’habitude de traiter par le dédain et par l’ignorance tout ce que nous n’aimons pas. J’ai moi-même un peu trop cédé à ce penchant si français et c’est pour calmer mes remords, et en quelque façon à titre de pénitence, que je me décide à entrer dans les considérations que voici.

Je n’ai pas la présomption d’avoir pénétré jusqu’en son fond l’âme russe. C’est la plus difficile, la plus dérobée, la plus décevante qui soit. Je pense que dans son essence elle reste à jamais insaisissable, comme à peu près impossible à dominer pour un étranger reste sa langue. Il y a un proverbe russe qui dit : « Quoi que tu donnes à manger au loup, il tire toujours vers la forêt ; si loin que la Russie s’avance à la rencontre de l’Europe, elle reste toujours toute tournée vers l’Asie. » Et en effet, on a l’impression que par cette immense ouverture vers l’Est s’enfuit à chaque fois chaque trait de son génie qu’on a cru saisir. Pas de peuple, je le dis sans haine, plus « carottier » que le russe, et au point de vue psychologique même : ce qu’il vous laisse dans les mains, c’est presque toujours une « attrape ».

Cependant il y a quelques traits très évidents de son caractère qui, bien aperçus, bien suivis, eussent permis de prévoir combien peu de raisons il avait de s’éprendre de