Rien de moins tutélaire aujourd’hui que le Droit et que la Liberté, tels que notre Révolution les a conçus. Car les conditions économiques de la vie ont changé par-dessous : des armes redoutables ont été remises secrètement aux mains des entreprenants, qui multiplient sans mesure leur puissance et dont absolument rien ne leur interdit de faire usage contre leurs soi-disant égaux. Les Droits de l’homme : sans doute ils mettent l’individu à l’abri des outrages, des violences, du knout ; ils lui garantissent l’honneur ; mais ils ne lui garantissent nullement la vie.
Tous les attentats à sa dignité et à son indépendance sont prévus et exclus. Mais l’attentat, le guet-apens de la misère, non seulement le Droit et la Liberté ne les empêchent pas : ils les favorisent presque ouvertement. Car si l’on vient prévenir le riche d’avoir à relâcher un peu les mailles du filet où il tient le pauvre enserré, aussitôt il a la Loi pour lui, il peut faire valoir son droit : n’est-il pas libre comme les autres ? S’il ne pouvait pas exercer son activité sans contrôle et sans limitation, ne serait-il pas moins libre que sa victime ? Qu’on ne vienne pas se mêler de ses affaires. On lui a promis, en même temps qu’à tous les autres, de le laisser tranquille. Il ne demande rien de plus.
Rien ne fait apparaître avec plus de force que ce langage, hélas ! trop facile à recueillir sur trop de lèvres, les inconvénients désastreux que d’immenses masses populaires commencent aujourd’hui de reprocher à la Liberté. Elle leur apparaît comme la plus cruelle des marâtres, c’est elle qui leur semble former de ses propres mains leur détresse. Elle encore qui les prive de tout recours et de tout espoir. Car si elles s’avisent d’élever