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contre nous. Les plus monarchistes d’entre nous ne la considéraient pas sans se sentir émus d’une sorte de colère organique, à laquelle ils ne comprenaient rien. « La tête de Guillaume » : c’est ce que tous nous avons tout de suite demandé, voulu ; et c’est l’appât qui, malgré les déceptions, par-dessus les fatigues, à travers tant d’épreuves, nous a menés jusqu’à la victoire. Oui, je voudrais bien savoir ce qu’il fût advenu, aux mauvais jours, de notre résolution, si nous n’avions toujours eu devant les yeux cette tâche que nous ne pouvions pourtant pas laisser inaccomplie : Guillaume, le kronprinz à détrôner, à souffleter, à punir.

Rien ne peut rendre mieux sensible la direction de notre instinct profond, que la façon dont nos prisonniers en Allemagne essayaient de travailler leurs gardiens : ils ne visaient à rien moins qu’à leur enseigner la liberté. Les plus humbles, à cet égard, se sentaient des âmes de missionnaires. J’ai vu de simples paysans entreprendre, avec une patience et une bonne volonté inénarrables, l’éducation de leur sentinelle ; ils la « prenaient » un certain nombre d’heures par jour, ils lui serinaient ses droits, ou plutôt ses devoirs d’homme libre. Qu’un feldwebel la bousculât, aussitôt ils lui expliquaient ce qu’il y avait d’inadmissible dans l’incident ; ils lui remontraient qu’en France ça ne se serait jamais passé comme ça et qu’un soldat, brutalisé par un supérieur, n’eût pas hésité à se défendre à coups de pied et à coups de poing. « Fallait lui f… un marron dans la gueule ! » concluaient-ils immanquablement.

La leçon prenait, ou ne prenait pas. J’ai connu un Allemand que ses prisonniers avaient ainsi peu à peu complè-