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452 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fort où je ne suis pas commandé : « On n'est jamais commandé, quand on ne veut pas. On est toujours commandé, quand on veut. » L'entendez-vous, qui plaint les dieux parce qu'il leui^ manque « ce qu'il y a peut-être de plus grand dans le monde; et de plus beau : d'être tranché dans sa fleur; de périr inachevé; de mourir jeune dans un combat militaire. » Pour lui-même, il n'est plus temps de mourir jeune; mais que vienne ou non le combat militaire, il sent bien qu'il ne mourra pas vieux. Il écoute Clio, tout à la fin, lui dire : « Vous même, vous petit, vous n'irez même pas jusque là. Pas même un demi-siècle. Depuis quinze ans que vous ramez sur cette galère, vous vous sentez à bout tous les jours ; et il vous semble qu'il y a une éternité... Vous ne vous voyez pas dans trente-cinq ans, dit-elle. Vous ne vous repré- sentez pas présidant à la cinquantième série des cahiers. Mais vous vous représentez fort bien, et je me représente avec vous, mon enfant, me dit-elle avec une grande dou- ceur, ce que vous penserez le jour de votre mort. »

Lire ces mots que tout le livre éclaire, c'est quitter mon vieux camarade au bord même du champ où il est tombé. Pour précieux que nous soit le .récit d'un de ses compagnons des derniers jours, s'il nous intéresse, c'est qu'il nous montre Péguy en pleine action dans l'épreuve attendue, y portant ce courage, cette abnégation allègre et totale, cette simplicité que nous attendions ; mais nous n'y cherchons point une confidence, la révélation d'un dernier secret. On ne sait pas tout d'un homme ; nous savons de Péguy, grâce à lui-même, tout ce que nous avons le droit et le besoin de savoir. C'est un faible privilège que de l'avoir dès longtemps fréquenté, puisque des amis de jeunesse, après qu'il eut changé de voie, ont pu se tromper sur ses motifs profonds et méconnaître l'unité de sa vie. Pourtant ses changements n'ont rien eu de brusque et d'inexpliqué ; si la passion a quelque peu faussé son attitude à l'égard dçs personnes, ses alliances et ses

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