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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 43I

Shakespeare, Shakespeare est une œuvre. Dans l'hypothèse William Stanley, William Stanley est un homme, tout un voile se déchire, et du haut en bas, dans une lumière à la Rembrandt, un monde nouveafl de la vie intérieure apparaît; comme dans Hamîet, les comédiens s'en vont, le monde réel demeure. William Stanley, jeune voyageur cultivé qui revient en Angleterre pour y être mêlé à la plus terrible tragédie domestique (rien n'est plus frappant dans l'ouvrage de M. Lefranc que les liens singuliers entre Stanley et Hamlet) se crée dans les châteaux et les pavillons où il s'isole une existence prodigieuse. L'aventure devient bien plus belle que celle de Beckford. Un Derby peut mépriser, comme un Saint- Simon, la gloire littéraire, en habiller comme Salluste ce Ruy Blas de théâtre, son factotum Shakespeare. La vie réelle il la trouve dans sa place et ses devoirs sociaux, et la vie idéale dans ce monde de pensées et de songes, de poésie et de musique dont il peuple ses œuvres et qui s'en vont parmi les hommes, sur une scène de théâtre, tout détachés de lui et vivants pour eux-mêmes, et partis pour te, vie éternelle. Il ne fait que pousser un peu plus loin ce sentiment profond de tout grand artiste qui ne s'intéresse plus à ses œuvres passées, les laisse à leur destin, ne pense vraiment qu'à ses œuvres futures, — cette nécessité aussi qui s'impose à tout créateur, lors de toute création esthétique, de couper le cordon ombilical, de dire à l'œuvre : c Va, lève-toi et marche, oublie-moi ».

Et l'œuvre a marché, l'œuvre l'a oublié. Mais l'œuvre, après trois cents ans revient vers lui et lui tend son miroir, et nous l'y reconnaissons. Les noms shakespeariens qui, autour de la personne de William Shakespeare retombaient impersonnels et mats, ici ils peuvent chanter, vibrer, s'unir indéfiniment à une personnalité humaine. Ce solitaire de la cour et des châteaux c'est Hamlet, c'est Jacques le Mélan- colique, c'est Prospero. Prospero ! Quelle divination, alors, lui aurait fait clore son œuvre par ce tableau de la magie

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