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JOURNAL SANS DATES 419

je lui ai caché la mort de la dernière, qui était mariée en Amérique ; ma mère était à ce moment très malade elle- même et, quelques semaines plus tard, je l'ai perdue.

— Vous aviez quel âge ?

— Dix-huit ans.

— De sorte qu'à présent vous êtes seul.

Il répète machinalement : « Oui, seul », puis reprend :

— Ma mère était une femme admirable. Tout ce qu'il y a de bon sur la terre, oui, de grandement bon, elle l'avait. Je ne peux penser à elle sans larmes.

Je le regarde machinalement ; ses yeux sont parfaite- ment secs.

— A son lit de mort elle m'a dit : « Kind, dass du stolz hleihe ))i, puis elle s'est tournée vers une amie qui l'assistait et lui a murmuré : « Ich furchte es gehe schlecht mit ihm ))-.

— Est-ce que quelque chose en vous pouvait lui faire pressentir...

— Rien encore.

Un long silence. Puis :

— Il faut que je vous avertisse. Monsieur Gide, que je mens constamment.

— De cela aussi Von M. m'avait averti, lui dis-je.

— Oui, mais il n'a jamais compris la valeur de mes mensonges. Je voudrais vous faire comprendre ; ce n'est pas ce que vous croyez... J'éprouve le même besoin de mentir et la même satisfaction à mentir qu'un autre à montrerlavérité... Non, ce n'est pas ce que vous croyez... Tenez par exemple : quand quelqu'un entend un bruit subit à son côté, il tourne la tête (Il me saisit le bras) : moi pas I

I. « Enfant, puisses-tu rester fier. »

^. « Je crains bien qu'il ne tourne mal. »

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