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4l6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

anglais qu'allemand, et je ne m'étonnai point lorsque, un peu plus tard, il me dit que sa mère était anglaise.

Je l'emmène au restaurant de l'hôtel terminus. La con- versation d'abord un peu traînante au début du repas, bientôt s'anime. B. R. parle cependant avec une extrême lenteur, cherchant ses mots, ou même ses idées, mais très correctement, sans accent. Vers la fin du jour il m'a dit :

— Monsieur Gide, il faut que vous compreniez qu'en allemand je ne parlerais pas plus vite. Je ne peux plus parler vite, à présent.

Il sort de prison; je le sais, mais il croit que je n'en sais rien ; cache admirablement une légère inquiétude lors- qu'il apprend que Von M. m'a parlé de lui. Il retourne à Bonn le soir même ; il vient donc à Paris tout unique- ment pour me voir.

— Qu'est-ce qui vous a fait désirer me connaître ?

^- Brusquement, dit-il, quand, dans votre Immora- liste, je suis arrivé au passage où Moktir vole une paire de ciseaux et où Michel, qui l'a vu faire, sourit.

Un grand silence, puis très lentement :

— Monsieur Gide. Est-ce que vous savez que... je sors de prison ?

A voix très basse et lui prenant la main :

— Oui, je le sais.

Quand ma main touche la sienne, il s'exalte un peu, et d'une voix à peine un peu plus chaude :

— Mais vous savez que j'en suis sorti seulement depuis quatre jours.... et que j'y suis resté quatorze mois...

— Je croyais trois mois seulement.

— Depuis ces quatre jours, je n'ai pas encore dormi.

— Vous semblez extraordinairement fatigué.

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