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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

péché. Les ennemis et l’Ennemi. Les Daces en fuyant ont emporté son crime. C’est tout l’homme et c’est toute la Ville. L’homme et Rome. Le monde et la cité. L’orbe et l’urbe. Toute la détresse et tout le triomphe. Et c’est aussi toute la philosophie antique. Toute la sagesse aux prises avec toute la grâce (et comme il a bien montré qu’en effet de tout ce qu’il y a dans le monde c’est la sagesse qui est la plus impénétrable à la grâce). Et aussi tout le secret de la légation du monde antique. Car il manque bien de respect aux faux dieux, mais il ne manque pas de respect à celui qui respecte les faux dieux, il ne manque pas de respect à celui qui adore les faux dieux et qui a été nourri de la sagesse antique. Ainsi le monde chrétien allait rejeter Jupiter mais n’allait point rejeter Virgile. Ainsi le monde chrétien allait rejeter Zeus mais n’allait pas rejeter Platon, ni Homère ; ni peut-être même assez Aristote. — Et encore, dans ce Polyeucte, naïvement et je dirai presque délicieusement Rome et la province : Gendre du gouverneur de toute la province. Et l’œuvre est aussi parfaite, aussi irréprochable, aussi irrécusable, aussi impeccable en théologie qu’en poétique. Elle aussi est une œuvre sans péché.

Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense : telle est la formule de Polyeucte. C’est la formule même de la morsure, c’est la formule de l’attaque, de l’atteinte, de la pénétration de la grâce. Mais elle implique si l’on veut que celui qui y pense, qui a l’habitude d’y penser, qui est recouvert de cet enduit de l’habitude est aussi celui qui donne le moins de prise et pour ainsi dire le moins de hasard de prise.