LE DIALOGUE AVEC GÉRARD . 357
une toute petite chose dans le monde et toi-même tu vas peut-être me trouver un peu ridicule, mais je ne peux pas te dire comme je trouve cela admirable.
GÉRARD, très excité. — Oh ! tu as vu... le chauffeur nègre... c'est comme mon oncle Ernest...
ANTONIN. — Non, écoute-moi ! Ne parlons pas d'autre chose ! Ecoute-moi ! Quand je te vois ainsi remonter un par un tout le peloton, il me semble que c'est comme si je voyais ime lutte à la corde où l'une des équipes est composée de Français, et tu t'y joins, et tu tires, et à cause de toi les Français gagnent cinq centimètres de terrain. Tu comprends ?
GÉRARD. — Un peu.
ANTONIN. — Ton courage ! Toi au lycée et moi à la guerre... Mais tout de même compagnons d'armes.
GÉRARD. — Partisans !
ANTONIN. — Nous sommes les forts.
GÉRARD. — Oui, quelque chose de... (plus bas, et vite, parce qu'il n'est pas sûr du mot) de solennel.
ANTONIN. — A quoi serviraient ces milliers de garçons qui se font tuer, si tu ne cherchais pas à être huitième au heu de vingtième ?
GÉRARD, avec angoisse. — Ah ! voilà que tu recom- mences à plaisanter...
ANTONIN. — Non, non, Gérard, je te le jure, jamais plus je ne plaisanterai de ma vie.
GÉRARD. — Et puis, j'avais peur que tu te paies ma tête, et je veux bien tout, mais pas ça.
ANTONIN, merveilleusement. — Je te salue, force pleine de grâce, le Seigneur est avec toi.
GÉRARD. — Ne commence pas tes discours.
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