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34^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Nous vivons au milieu de gens, il y a plus de différence entre eux et nous qu'entre moi et ce chien.

GÉRARD. -^ Allez, hop, sale bête ! Je n'aime pas les chiens. Ils obéissent toujours.

ANTONIN. — Les Brossard, les Didier, les Martin, ces gens-là n'ont pas d'âme.

GÉRARD, tournant la tête. — C'est vrai ?

ANTONIN troublé, ému par l'accent de V interrogation, — Si, bien sûr, ils ont une âme. Mais il y a toute une partie de la vie qui leur échappe. (A part.) Je ne le tromperai pas ! C'était pour les grandes personnes !

GÉRARD. — Le tout est que ce soient des honnêtes gens.

ANTONIN. — Tu as raison. N'empêche que, dans ma compagnie, par exemple, il est hors de doute que c'est le chien du cuistot qui est le seul à avoir quelque chose d'humain.

GÉRARD. — Oh !... Ça, ce n'est pas vrai ! Tu te trompes !

ANTONIN. — Peut-être.

GÉRARD. — Certainement !

ANTONIN. — J'oubHais ; ft peut-être », ce mot-là n'est pas de ta langue. Mais, voyons, sincèrement, ne crois-tu pas qu'il y a bien des gens, âgés et avec des honneurs, et qui n'en ont pas dit dans toute leur vie autant que nous dans une petite demi-heure ?

GÉRARD. — Tu crois ? Des bourgeois ? Moi, j'aime bien ce genre de conversation ; tu as raison, on doit tou- jours voir les choses en profondeur. C'est plus facile, aussi, depuis la guerre.

ANTONIN. — Nous sommes des profiteurs.

Gérard n'entend pas. Il a couru vers un arroseur public, s'est approché du jet d'eau, avec passion

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