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JOURNAL SANS DATES 285

Il est naturel que toute grande réforme morale, ce que Nietzsche appellerait toute transmutation de valeurs, soit due à un déséquilibre physiologique. Dans le bien- être la pensée se repose, et tant que l'état de choses la satisfait, la pensée ne peut se proposer de le changer. (J'entends : l'état intérieur, car pour l'extérieur, ou social, le mobile du réformateur est tout autre ; les premiers sont des chimistes, les seconds des mécaniciens.) A l'ori- gine d'une réforme il y a toujours un malaise ; le malaise dont souffre le réformateur est celui d'un déséquiUbre intérieur. Les densités, les positions, les valeurs morales lui sont proposées différentes, et le réformateur travaille à les réaccorder ; il aspire à un nouvel équiUbre ; son œuvre n'est qu'un essai de réorganisation selon sa raison, sa logique, du désordre qu'il sent en lui ; car l'état d'inor- dination lui est intolérable. Et je ne dis pas naturellement qu'il suffise d'être déséquilibré pour devenir réformateur — — mais bien que tout réformateur est d'abord un déséqui- hbré.

Je ne sache pas qu'on puisse en trouver un seul, de ceux qui proposèrent à l'humanité de nouvelles évalua- tions, en qui ces MM. Binets-Sanglés ne puissent découvrir, et avec raison, ce qu'ils appelleront peut-être une tare — que je veux simplement appeler : une provocation. Socrâte, Mahomet, Saint Paul, Rousseau, Dostoïewsky, Luther, — que M. Binet-Sanglé les énumère, qu'il m'en propose d'autres encore : il n'en est pas un que je ne reconnaîtrai pour anormal.

Et naturellement on peut penser ensuite comme ceux-ci sans être déséquilibré soi-même ; mais c'est un état de déséquiUbre qui d'abord appela ces pensées à la rescousse,

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