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272 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fois remplacée, est la seule que je retrouve intacte. La voilà qui me pèse des cerises, sans se douter qu'elle me revend, si fraîche et propre et si vernie (je ne dirai pas si ces adjectifs s'appliquent à jeune fille ou à enfance), mon enfance...

Ainsi, tous ces gens ont vécu, travaillé, acheté et vendu à un maigre salaire, fermé le soir dans l'ordre leurs volets, et payé au jour leurs impôts, déroulé le même coupon de drap, allongé sans fin le même lacet, pour sou- tenir, jusqu'au jour où je reviendrais, le premier décor de ma vie!... Seul l'horloger a changé de trottoir et pris la boutique d'en face ; et cela me gêne un peu, comme un bracelet-montre attaché du mauvais côté... Ainsi la guerre, qui tout ruine, les empêchant de passer à leurs fils et gendres leurs tâches, a, pour mon seul bénéfice, prolongé de cinq ans la vie d'un reflet, d'un écho... Or, aujourd'hui ma jeunesse a juste dix-sept ans, comme les eut mon en- fance, le jour où je partis d'ici; cette tristesse en moi, c'est une mère et une fille, du même âge, qui s'étrei- gnent... Toutes deux d'aujourd'hui m'abandonnent, et me voici soudain las et incertain, comme tous ceux qui n'ont qu'un jour.

L'Indre est dorée, la rue parallèle à l'Indre est lumi- neuse : je vais entre ces deux brancards. Qui m'a poussé, comme ces femmes exilées qui vont sur le premier bateau de leur pays en rade mettre au monde leur fils, qui m'a poussé pour ce second terme, qui me poussera dans dix- sept ans vers cette ville sans charme et sans parents?... Enfance, heureuse enfance où le malheur et le bonheur étaient le malheur et le bonheur enfants ; où l'amour, où l'orgueil étaient l'amitié, la tendresse... vertus de

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