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264 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

La plupart sont tués maintenant, et seront désormais étendus entre nous, les pieds vers Munich, la tête vers Châteauroux. Mes amies ? Te dire que le mot Pavel a été lié syllabe par syllabe, des années, des mois, au mot Gilberte, au mot Renée ? Les Allemands ? La guerre ? Non. J'ai à te dire, tout au plus, les deux premières phrases échangées avec celle dont tu as lu la lettre,

« — Comme vous avez l'air belle, Irène ?

« — Il vous plaît à penser, petit Pavel.

J'ai à te dire que je^ remue toujours le petit doigt en écrivant, mais que je ne fais plus craquer mes poignets. J'ai toujours ma manie de citer le mot de Bierbaum : « la vie est un marais », et de voir les hommes peu à peu s'enlisant ; d'expHquer qu'ils mettent des lorgnons, des monocles pour que le sable n'entre pas dans leurs yeux, qu'ils lisent Baudelaire, Dostoïewski, pour mieux serrer les mâchoires ; qu'ils vont en auto pour sentir au-dessous d'eux enfin un sol de bois... et toutes les mêmes stupides plaisanteries, et d'ailleurs c'est vrai. J'ai toujours ma manie, le soir, en me couchant, dès que je ferme les yeux, de voir mon immense tunnel. Tu me questionnais de ton ht. Des armées s'y engouffraient dont je te donnais le chiffre exact : 3 millions 561.000. 4 milliards 21. Des troupes d'oiseaux en sortaient, se heurtaient, oiseau par oiseau, contre d'autres vols qui arrivaient et tombaient morts... Une lueur blanche apparaissait parfois au fond du tube, et devenait une fumée, une ville grecque, un jour, tu te rappelles, une licorne. Que le mot licorne est sonore dans un dortoir !

Au revoir, Jean. Mon électricité brûle toujours, mais déjà ma veilleuse est éteinte, notre veille est finie. Demain

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