Page:NRF 13.djvu/269

Cette page n’a pas encore été corrigée

NUIT A CHATEAUROUX 201

presque à lui seul la seconde bouteille de Champagne et cela aussi expliquait son agitation.

— Ah ! tu es poète ? m'écrivit-il. Je ne sais si j'ensuis heureux ou déçu. Tous les camarades que j'ai laissés étudiants en droit, en pharmacie, en histoire, un sort veut que je les retrouve en architectes, en sculpteurs, en graveurs. A la seconde rencontre, leur métier est moins matériel encore, ils sont musiciens, poètes. En quel élé- ment seront-ils à la troisième ? Si j'aperçois dans un salon une brave tête de banquier, de secrétaire d'ambassade, à mesure que j'avance vers elle, ses yeux se voilent, son menton s'allonge, et j'apprends que c'est une tête de peintre, de médailler. Je parle à mon voisin de table, c'est un orateur qui me répond. Il y a trop d'écho pour moi dans ce monde. Voilà que tu m'obhges aux mêmes pré- cautions ; tu es poète, je suis peintre, que d'histoires ! Notre cœur à tous deux ne s'arrête que sur les cinq ou six mêmes phrases de la musique, sur les cinq ou six mêmes poèmes ; nous nous rencontrons sur une terrasse de plus en plus étroite ; il faut nous saluer maintenant, nous enlacer avec les gestes mesurés de deux acrobates qui se retrouvent, après vingt ans, au faîte d'une flèche de tour... D'ailleurs je me console de ne pouvoir approcher les hommes... Tant pis !

Car enfin tu les as vus ? Nous avons beau jouer à reprendre notre âge blanc de Munich, tu as appris depuis comment ils sont faits, hein ? tu les as vus ? Tu as vu ces tristes méplats de leurs tempes, ces joues de pierre ponce, usées comme s'ils passaient leur vie, depuis leur naissance, à se frotter à d'autres méplats, à d'autres joues ? Du haut du tramway, tu les as vus pousser leurs

�� �