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252 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Chacun interrogeait avidement ce miroir inespéré qui lui renvoyait son image, un miroir ami, une image jeune. Et les réponses nous perçaient ou caressaient comme un feu de lentille. Tous deux vêtus à nouveau de chemises raides de lycéen, tous deux anonymes, rasés de frais, épurés aussi par le mal, nous étions aussi nets qu'il le faut pour se renvoyer des souvenirs. A ce monde, à ce présent nous appartenions aussi peu que possible, et l'on entendait juste les bruits que fait la terre quand le temps suspend son cours : les vraies glaces sur les commodes craquer, les infirmiers américains poser des tasses sur le pavé du couloir... Dans ce même Ht où les enfants berrichons ambitieux s'étendent tout droits et dorment tendus sur je ne sais quel méridien, voilà que nous retrouvions, cette fois, le passé ; un passé que nous nous entendions à ne pas détruire, à garder intact en ne prononçant pas le nom d'un nouvel ami, à ne pas décolorer en disant le nom d'une nouvelle ville ; en n'y mêlant rien des seize autres années ; en craignant toute nouvelle de nous-mêmes, comme si elle dût être décevante, comme s'il était évident qu'en vieiUissant on démérite ; comme s'il était la règle que deux jeunes gens impétueux et parfaits devinssent, une fois écoulés dix ans de paix et six ans de guerre, des hommes paresseux et des lâches...

Minuit sonna. La grande horloge de l'hôpital était entre nos deux chambres. Chacun, effleuré par une onde diffé- rente, par une caresse autre du temps, se sentit soudain d'un autre âge que l'autre. Un long moment les infirmiers nous abandonnèrent, car c'était leur relève. Nous attendions, énervés, comme deux amis au téléphone dans un danger quand la demoiselle coupe le fil. Il y avait aussi à lutter

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