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244 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

on n'a jamais su pourquoi. Fedia Botkine ne m'a jamais écrit; je sais que son père a été ministre à Amsterdam, puis à Tokyo, puis à Lisbonne : je suis ainsi sa trace sur tant de mers, sans savoir ce qu'il devient, par son gros père, comme im sous-marin par sa bouée. De Miss Isaacs, j 'ai l'impression parfois de recevoir des nouvelles ; c'est faux : c'est sa photographie que je transmets de porte- feuille usé en portefeuille neuf, et que je revois ainsi tous les deux ou trois ans ; elle est assise sous les arcades du Jardin anglais; elle sourit, on ne voit aucune feuille, aucun arbre, mais on devine que c'est l'été (quand les Américaines ont trente-deux dents) et qu'elle suce de la glace. Notre maître de déclamation Vogelmann- Vollrath, que tu n'appelais jamais que par la traduction française de son nom : l'homme-oiseau plein de conseils, était très malade à mon départ. J'ai depuis seize ans l'impression qu'il n'a plus qu'un jour à vivre.

De Mimi Eilers je ne sais qu'une seule chose, et je viens de l'apprendre à la minute même, car jusqu'ici je n'y pensais point : elle a trente ans aujourd'hui. Je me suis brouillé avec elle le jour même où j'ai réussi à lui parler. A l'exposition du corps de l'archiduchesse Gisèle, je l'avais aperçue, après moi dans la file. C'était le premier cadavre qu'elle voyait ; j'attendis : je voulais saisir sur son visage le premier reflet que jamais y jeta cette sinistre aventure. Ce fut un reflet tout rose : elle se savait observée et se protégea de la mort par la pudeur. Je l'approchai à la sortie, dans le salon en papier mâché de la Résidence. Mais nous avions eu le tort de l'accabler toute la semaine de ces cartes postales allemandes gaufrées, sur lesquelles elle pouvait reconnaître avec les doigts, même en refusant

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