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232 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

et l'on approche avec moins de précautions du pôle. Sur le fauteuil à pivot de Joffre, où Joffre parvenait à ne jamais tourner et, quel que fût le visiteur, parlait devant lui, dans la glace, et parfois rudement, à un brave reflet de Joffre, le général Anthoine tournait déjà à toute allure, comme une loterie, et celui de nous qui le gagnait n'était pas fier. Puis il sortit, pour faire museler les chiens civils, et je regagnai le coiffeur en m' abritant tous les quinze pas dans une porte comme à Paris les jours de raids.

Enfin le soir tomba, et nous nous retrouvions dans les tonnelles, au bord de la Fausse Voulzie. La journée de bureau close, tous les ofiiciers venaient se mettre au frais dans les grands fossés de Provins, au frais et au repos, dans les plus larges tranchées de France, les plus tranquilles. La Fausse Voulzie dévalait et l'on entendait un murmure là où elle se heurtait à la vraie Voulzie. L'hôteHer plongeait dans la rivière les bouteilles de Graves gris. Pierrefeu, près de moi, rédigeait le communiqué, mais pour la pre- mière fois depuis mars tout sur le front était calme, et, de tant de téléphones, un seul prévoyait pour la nuit du " travail : une reconnaissance commandée par le lieute- nant Michel... Ainsi nous savions le nom du seul officier qui fût en guerre aujoiurd'hui... Ainsi, seul, de tant d'armées, Michel avait aujourd'hui avancé son dîner, renoncé à sa manille ; lui seul, assoiffé de vengeance, d'une main qui jamais ne caresserait plus, ouvrait l'étui de son revolver, mettait la crosse à nu, la caressait ; lui seul, une minute avant le coucher du soleil, impatient de son dernier jour, fermait les yeux une minute pour n'avoir désormais à regarder que dans la nuit ; lui seul, Michel, auquel son colonel enfin a parlé douce-

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