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DIALOGUES DES OMBRES PENDANT LE COMBAT 219

sant au plus haut que tu aies jamais atteint, colore d'héroïsme ton œuvre entière.

PÉGUY. — Avouez plutôt, grand-père, vieux mahn — vous permettez que je vous appelle vieux malin, car vous savez de reste en quelle vénération je vous ai toujours eu — avouez que ma mort vous contrarie quelque peu, car personne ne parlera plus de vous comme il m'est arrivé de le faire. Vous voici de nouveau entre les sacris- tains de votre église et les roquets qui vous sautent aux jambes.

Hugo. — Certes, je te regrette, car nous étions du même sang, et l'amour te faisait discerner des beautés qui passent l'intelligence des déhcats. Ils me méprisent parce qu'il m'arrive de ronfler un peu quand je dors et que j'ai des mains de maçon... Mais il ne s'agit pas de cela. Oui, mon ami, je te disais que je suis jaloux de ta mort, car notre instant suprême donne un sens à toute notre vie. Faire une bonne mort, tout est là. C'est une de ces injustices contre lesquelles il est vain de ratiociner. J'avais de mon mieux préparé la mienne ; mais cet enterrement m'a peu profité ; il ne m'a même pas profité du tout. Toi, au contraire, tu auras éternellement à la bouche le cri que tu as poussé en entraînant tes hommes contre les mitrail- leuses. Tous tes combats, les meilleurs comme les moins bons, participeront à la sainteté de cet assaut. Et toutes tes pensées, même les plus reculées, celles du petit étu- diant en Sorbonne ou de l'écoher d'Orléans, seront éclairées par ce soleil de la Marne. Que sont les privilèges de la naissance devant ceux de la mort ? C'est ce que tu as bien compris, toi, mon petit, et c'est ce qu'à Paris ils ignoreront toujours.

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