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1084 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

force « qui peut tirer d'elle-même plus qu'elle ne contient, rendre plus qu'elle ne reçoit, donner plus qu'elle n'a. » Là, « le passé se conserve indivisible et grandit comme une plante magique qui réinventerait à tout moment sa forme avec le dessin de ses feuilles et de ses fleurs. » Là s'effectue la créa- tion de soi par soi, triomphe de la vie, objet de la vie hu- maine, gage infiniment probable de survie. De la sorte se consomme l'union mystique, besoin essentiel de la pensée juive, annoncé déjà dans l'Éthique de Spinoza : « Dans l'absolu nous sommes, nous circulons et nous vivons. »

Ainsi, si l'on envisage le Bergsonisme dans son ensemble en réservant les problèmes spéciaux qu'il soulève dans l'ordre philosophique, il apparaît comme une tentative faite pour concilier la science moderne avec l'image que la sen- sibilité artistique d'une époque se fait de la vie spirituelle. Par là l'entreprise est curieuse et vaut d'être retenue : elle ne témoigne pas seulement d'une haute culture et d'une grande délicatesse. Elle témoigne encore, à son insu, de la valeur de la science. Si la métaphysique de Schopenhauer prouve, comme le dit Nietzsche, que l'esprit scientifique n'est pas suffisamment fort, la métaphysique de Bergson semble bien prouver qu'il l'est devenu entre temps. C'est pourquoi l'œuvre entière revêt le caractère d'un mysticisme rationnel.

��Lorsque Lamarck exposait au cours du Muséum sa con- ception du Monde « qui avait beaucoup de simplicité, de nudité et de tristesse », un de ses auditeurs, Sainte-Beuve, refusait de se laisser gagner par la passion contenue de sa parole et devait discerner plus tard, dans Volupté, la raison secrète de cette abstention : « J'étais loin assurément d'ac- cueillir ces hypothèses par trop simplifiantes, cette série uniforme de continuité que réfutait, à défaut de ma science, mon sentiment abondant de création et de brusque jeunesse. »

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