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LE CHAGRIN DE LA SÉPARATION ET L'OUBLI IOI

lente promenade allaient s'estompant dans l'ombre élyséenne. Bientôt, j'arrivai devant la maison de Gilberte. Je fus reçu par Mme Swann : « Oh ! elle va être désolée, me dit-elle, je ne sais pas comment elle n'est pas là. Elle a eu très chaud tantôt à un cours, elle m'a dit qu'elle vou- lait aller prendre un peu l'air avec une de ses amies. » «Je crois que je l'ai aperçue avenue des Champs-Elysées. » « Je ne pense pas que ce fût elle. En tous cas ne le dites pas à son père, il n'aime pas qu'elle sorte à ces heures-là. Good evening ». Je partis, dis au cocher de reprendre le même chemin, mais ne retrouvai pas les deux prome- neurs. Où avaient-ils été ? Que se disaient-ils dans le soir de cet air confidentiel ?

Je rentrai, tenant avec désespoir les dix mille francs inespérés qui avaient dû me permettre de faire tant de petits plaisirs à cette Gilberte que, maintenant, j'étais décidé à ne plus revoir. Sans doute, cet arrêt chez le marchand de chinoiseries m'avait réjoui en me faisant espérer que je ne verrais plus jamais mon amie que contente de moi et reconnaissante. Mais si je n'avais pas fait cet arrêt, si la voiture n'avait pas pris par l'avenue des Champs-Elysées, je n'eusse pas rencontré Gilberte et ce jeune homme. Ainsi un même fait porte des rameaux opposites et le malheur qu'il engendre annule le bonheur qu'il avait causé. Il m'était arrivé le contraire de ce qui se produit si fréquemment. On désire une joie, et le moyen matériel de l'atteindre fait défaut. « Il est triste, a dit La Bruyère, d'aimer sans une grande fortune ». Il ne reste plus qu'à essayer d'anéantir peu à peu le désir de cette joie. Pour moi, au contraire le moyen matériel avait été obtenu, mais, au même moment, sinon par un

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