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98 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de sorte que la nouvelle qu'on va revoir celle qu'on aime donnerait une commotion peu agréable. Ce qu'on recule maintenant de jour en jour, ce n'est plus la fin de l'intolérable anxiété causée par la séparation c'est le recommencement redouté d'émotions sans issue. Comme à une telle entrevue on préfère le souvenir docile qu'on complète à son gré de rêveries où celle qui, dans la réalité, ne vous aime pas, vous fait au contraire des déclarations, quand vous êtes tout seul ; ce souvenir qu'on peut arriver en y mêlant peu à peu beaucoup de ce qu'on désire à rendre aussi doux qu'on veut, comme on le préfère à l'entretien ajourné où on aurait affaire à un être à qui on ne dicterait plus à son gré les paroles qu'on désire, mais dont on subirait les nouvelles froideurs, les violences inattendues. Nous savons tous quand nous n'aimons plus, que l'oubli, même le souvenir vague ne causent pas tant de souffrances que l'amour malheureux. C'est d'un tel oubli anticipé que je préférais, sans me l'avouer, la repo- sante douceur.

D'ailleurs, ce qu'une telle cure de détachement psy- chique et d'isolement peut avoir de pénible, le devient de moins en moins pour une autre raison, c'est qu'elle afïai- bUt, en attendant de la guérir, cette idée fixe qu'est un amour. Le mien était encore assez fort pour que je tinsse à reconquérir tout mon prestige aux yeux de Gilberte, lequel, par ma séparation volontaire devait, me sem- blait-il, grandir progressivement, de sorte que chacune de ces calmes et tristes journées où je ne la voyais pas, venant l'une après l'autre, sans interniption, sans prescription (quand un fâcheux ne se mêlait pas de mes affaires), était une journée non pas perdue, mais gagnée.

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