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1000 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle s'adoucit et me tend la main.

— Asseyez- vous. Je voulais seulement vous dire qu'il vaut mieux me laisser seule désormais. Vous m'êtes inutile. Je ne veux pas dire plus.

Elle passe l'extrémité de son parapluie entre les lanières de ses sandales.

— Je commençais à recueillir les fruits de tout mon volontaire labeur. Je ne suis pas une nonne. Je dois à la fois inventer la règle et l'observer. Et le renoncement n'est pas facile pour l'être sauvage que je suis. Vous qui n'avez pas assisté à ce long effort ne pouvez pas com- prendre... Les soirées comme celle d'hier n'arrangent pas les choses...

Des larmes coulent le long de ses joues. Je voudrais dire... Mais elle m'interrompt en se levant et se couvre d'un voile violet.

De grands nuages de zinc ébrèchent les rayons du cou- chant. Il tonne. Les taxis passent, fous.

Dès que nous sommes hors de son quartier, les gens se retournent. Aurore s'arrête, pose sa main sur la mienne. Il y a entre nous l'épaisseur de ce voile, si sec.

Aurore tremble.

— Me pardonnez-vous, Aurore ? Geste vague d'Aurore que j'interprète :

— Ce n'est pas votre faute.

Elle fait un signe. L'autobus n^ 19 vient se ranger à ses pieds, docile, au bord du trottoir. Elle monte sur l'impériale coname le long d'une frise déroulée.

L'écriteau dit qu'elle peut aller jusqu'à Islington.

Je suis bien triste. Je sens que je n'aurai vraiment du chagrin qu'après-dîner. paul morand

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