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994 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un commerce, avant d'être le prix d'un jeu ; ceux-là tenaient leur vie entre leurs mains, séparés seulement de la mort par un vieux fusil qu'il fallait plus d'une minute pour charger, homme contre bête, hommes qui mangeaient ce qu'ils avaient tué et qui, — excuse de la chasse — quand ils n'avaient rien tué, ne mangeaient pas.

Aurore méprise le jeune homme riche d'aujourd'hui qui part de Mombasa avec soixante porteurs vers des terrains de chasse faciles et sains.

Les récits d'Aurore m'engourdissaient. Il était plus de neuf heures. Déjà le cabaret, pareil à un ponton du temps de Nelson, avait fermé ses volets comme des sa- bords. Nous mangions du fromage fondu et buvions le porto.

J'arrivais ainsi, avec elle, dans des contrées impra- ticables et malsaines où l'on doit laisser peu à peu derrière soi, d'abord des objets inutiles, puis les, porteurs pris soudain d'un mal mystérieux, puis les amis tués par des mouches lumineuses...

Je pensais :

— Aurore me laissera-t-elle ainsi un jour, aux antipodes, rentrer tout seul, après d'extraordinaires années, ou m'a- bandonnera-t-elle demain matin sur un banc ? Tout est possible. Au fond j'ai peu de goût pour les aventures extrêmes.

Nouveau verre de porto fruité.

— Non, Aurore ne m'influencera pas. Elle m'amuse, sans plus. Elle passera et je resterai tout seul, à sommeiller au fond de mes graisses jaunes de vieux Bouddah...

Nous sortons. Aurore propose le café Royal. C'est l'heure de l'absinthe, prise là, rituellement, après dîner.

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