A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 79
naît par hasard de nous avoir entendu parler, à table, de Méséglise.
— Oh ! Méséglise, disait Françoise avec le large sourire qu'on amenait toujours sur ses lèvres quand on prononçait ces noms de Méséglise, de Combray, de Roussainville : ils faisaient tellement partie de sa propre existence qu'elle éprouvait à les rencontrer au dehors, à les entendre dans une conversation, une gaieté assez voisine de celle qu'un professeur excite dans sa classe en faisant allusion à tel personnage contemporain dont ses élèves n'auraient pas cru que le nom put jamais tomber du haut de la chaire. Son plaisir venait aussi de sentir que ces pays-là étaient pour elle quelque chose qu'ils n'étaient pas pour les autres, de vieux camarades avec qui on a fait bien des parties ; et elle leur souriait comme si elle leur trouvait de l'esprit, parce qu'elle retrouvait en eux beaucoup d'elle-même.
— Oui tu peux le dire, mon fils, c'est assez joli Mésé- glise, reprenait-elle en riant finement ; mais comment que t'en as entendu causer, toi, de Méséglise ?
— Comment que j'ai entendu causer de Méséglise ? mais c'est bien connu ; on m'en a causé et même souvent, répondait-il avec cette criminelle inexactitude des infor- mateurs qui chaque fois que nous cherchons à nous rendre compte objectivement de l'importance que peut avoir pour les autres une chose qui nous concerne, nous met dans l'impossibilité d'y réussir.
— Ah ! je te promets qu'il fait meilleur là sous les poiriers que près du fourneau.
— Mais c'est à Combray même, chez une cousine de Madame, que vous étiez placée, alors ?
— Oui chez M^^ Octave, ah ! une bien sainte femme.
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