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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 75

et la chaleur du fourneau et c'est avec un mélange charmant de réserve, de familiarité et de pudeur, qu'elle adressait au giletier un gracieux salut mais sans lui répondre de la voix, car si elle enfreignait les recomman- dations de maman en regardant dans la cour, elle n'eût pas osé les braver jusqu'à causer par la fenêtre. Elle lui montrait la calèche attelée, en ayant l'air de dire : " Des beaux chevaux, hein ", mais en réalité parce qu'elle savait qu'il allait lui répondre, en mettant la main devant la bouche :

— Vous aussi vous pourriez en avoir si vous vouliez, et même peut-être plus qu'eux, mais vous n'aimez pas pas tout cela.

Et Françoise après un signe modeste, évasif et ravi qui pouvait signifier : " Chacun son genre, ici c'est à la sim- plicité ", refermait la fenêtre de peur que maman n'arri- vât. Ces " vous " qui eussent pu avoir plus de chevaux que la Duchesse de Guermantes s'ils avaient voulu, c'était nous, mais Jupien avait raison de dire " vous " car — comme ces plantes qu'un animal à qui elles sont entière- ment unies nourrit d'aliments qu'il attrape, mange, digère pour elles et qu'il leur offre dans son dernier et tout assimilable résidu, — Françoise vivait en symbiose avec nous ; c'est nous qui avec nos vertus, notre fortune, notre train de vie, notre situation, devions nous charger d'éla- borer les petites satisfactions d'amour-propre dont était formée — en y ajoutant avec le droit reconnu d'exercer librement le culte du déjeuner suivant la coutume ancienne, la petite gorgée d'air à la fenêtre quand il était fini, quelque flânerie dans la rue en allant faire ses emplettes et une sortie le dimanche pour aller voir son neveu — la

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