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À LA RECHERCHE
DU TEMPS PERDU[1]
(fragments)

Dans la cour de l’immeuble où nous avions loué un appartement, M. et Mme de Guermantes avaient une demeure formant hôtel sur laquelle j’acquis assez vite des renseignements, grâce à Françoise. Car les Guermantes qu’elle désignait souvent, par les mots de en dessous, en bas, étaient sa constante préoccupation, depuis le matin où, jetant, pendant qu’elle coiffait maman, un coup d’œil défendu, irrésistible et furtif dans la cour, elle disait : « Tiens, deux bonnes sœurs ; cela va sûrement en dessous » ou « Oh ! les beaux faisans à la fenêtre de la cuisine, il n’y a pas besoin de demander d’où qu’il deviennent, le Duc aura-t-été à la chasse », jusqu’au soir, où entendant un bruit de piano, un écho de chansonnette, elle tirait cette conclusion : « Ils ont du monde en bas, c’est à la gaieté ! »

Mais le moment de la vie des Guermantes qui excitait le plus vivement l’intérêt de Françoise, lui donnait le plus de satisfaction et lui faisait aussi le plus de mal, était celui où, la porte cochère s’ouvrant à deux battants, Mme de Guermantes montait dans sa calèche. C’était habituellement peu de temps après que nos domestiques avaient fini de célébrer cette sorte de Pâque

  1. Voir la Nouvelle Revue Française du 1er Juin 1914.