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TROIS LETTRES INÉDITES DE RIMBAUD
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argent payant de la haine, ainsi que le temps employé à rien. En marge, parmi des dessins, on lit ces mots : Wagner verdammt in Ewigkeit (Wagner damné pour l’éternité) ! S’agit-il du grand musicien, ou tout simplement d’un habitant de Stuttgart avec lequel Rimbaud est en rapports ? Le lecteur interprétera comme il l’entendra. Nous lisons là, nous, entre autres choses, l’opinion exprimée beaucoup plus tard par Nietzsche sur l’auteur de Parsifal. Au reste, Rimbaud, qui, selon la juste et forte expression de Paul Claudel, n’était pas de ce monde, devait nécessairement, vivant en France, détester les Français, et, vivant en Allemagne, haïr les Allemands.

Enfin, n’oublions pas qu’en 1875 il a vingt ans. Le rapprochement de cette lettre avec la partie de Jeunesse intitulée Vingt ans (page 234 de l’édition nouvelle des Œuvres) et aussi avec la partie intitulée Guerre, qui suit, devient, sous un certain rapport, suggestif. Faudrait-il en conclure qu’en réalité certaines illuminations sont postérieures à la Saison en Enfer ?

La troisième lettre, 14 octobre 1875, a été envoyée de Charleville. À cette date, le destinataire, M. Ernest Delahaye, était, croyons-nous, professeur au collège Notre-Dame à Rethel, où Verlaine, qui lui succéda, devait, un peu plus tard, colliger Sagesse. Dans cette lettre, l’initiale V. désigne Verlaine ; le « Loyola », c’est Verlaine aussi, et le mot « grossièretés » se rapporte, sans nul doute, à des vers réguliers de Cellulairement. Il y aurait certes lieu de s’étonner de l’appréciation, si l’on ne savait l’horreur nourrie par Rimbaud, après 1873, à l’endroit de ce genre de littérature, horreur qu’il conserva jusqu’à la fin, à ce point que le seul aspect typographique de vers réguliers le mettait en colère. Néanmoins, malgré sa réprobation des vers et sa volonté, manifestée ailleurs, de ne plus revoir Verlaine, il aimait à recevoir — on le constatera — les communications de celui qu’il avait autrefois, avant même de le connaître personnellement, qualifié de vrai poète.

Il n’a plus, dit-il — est-ce à regret ? — d’activité à dépenser du côté de la littérature.

Paterne Berrichon
Juin 1914.