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330 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mais ce ne sont là que moyens. Ils ne se suffisent pas plus que l'élégant tracé des versets du Coran dont on décore les mosquées: ils ont un sens intérieur dont vous ne les viderez pas. Lautrec en use librement comme d'une écriture symbolique ; ce n'est pas au petit bonheur ou pour la raison que " cela fait mieux '* qu'il amplifie ceci ou rétrécit cela, qu'il esquive un détail et s'attache à tel autre, qu'il passe de la simplification la plus hardie à la minutie locale la plus aiguë. Si ce coin de tableau est vide, réservé, il le fallait pour mettre en valeur ce sourire auquel le peintre a appliqué l'effort presque total de sa recher- che ; là un tracé synthétique et sans relief, ici le modelé le plus strict et le plus subtil. Il jette sur l'objet un réseau de lignes savantes d'où l'objet ne peut s'échapper. Considérez seulement VEtude pour un portrait de Marcelle (collection de M™* la Comtesse de T. L.). Le casque de cheveux, une touffe " à la chien " sur le front, l'attitude basse du corps, la vulgarité du visage, l'ensemble enfin est enlevé en quelques traits, mis en place grosso modo, capté dans un geste sûr et rapide ; mais l'artiste s'est attardé curieusement au regard, à l'aile du nez, à l'angle de la bouche, notant là de si délicates découvertes que les éléments de l'esquisse, subitement hiérarchisés, reconsti- tuent exactement, authentiquement le modèle : un être. Et voici que notre plaisir esthétique s'accroit de l'émotion spiri- tuelle que nous fait ressentir un portrait de Latour. Nous trouvons là bien autre chose qu'une image et pour Marcelle nous oublions même le peintre. — Lautrec, remarquons-le, si géné- ralisateur qu'il pût être, n'aura pas tant représenté " la fille " que " des filles ". Sa manière symbolique, synthétique, décora- tive, comme il vous plaira qu'on l'appelle, n'est jamais qu'un moyen de sauvegarder le style dans la recherche de l'individuel, la forme et la beauté dans la recherche du caractère qui est pour lui en somme l'essentiel. Oui ! un peintre de mœurs et d'âmes ! Quel prodige en un temps où l'âme ni les mœurs n'intéressent plus que ceux qui ne savent pas peindre, ou pas assez, du moins.

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