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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 3O5

des styles de génie, et Choses Vues réalisant dans son genre la même perfection que le Satyre. De même Musset. Lamartine au contraire.

Par là nous arrivons au cas de Flaubert, qui est très complexe. Si Flaubert a vécu tout entier pour son style, nous pouvons croire que ce style lui demeurait un peu extérieur, qu'il allait vers ce style, l'incorporait à lui, plus qu'il ne le dégageait de lui. La part de volonté y paraît plus grande que d'ordinaire, et c'est pourquoi dans Flaubert nous reconnaissons des styles fort différents. J'en distinguerai au moins trois : celui des premières œuvres jusqu'à Madame Bovary, tel que nous le montrent les Mémoires d^un Fou, 'Novembre, la première Tentation, style très facile, peu original, abondant en clichés, d'un rondouillard intermédiaire entre le Chateaubriand de 1802 et la Confession d^un Enfant du Siècle ; — le style des grands romans, de Madame Bovary à Bouvard, discipliné et savant, le vrai style de Flaubert ; — le style de la Correspondance, plein de fantaisie, tout en verdeur et en exubérance, l'étoffe riche où il coupait en geignant les vêtements de ses personnages. S'il s'était épanoui en liberté au lieu de se restreindre en profondeur, il eût trouvé sa voie, ou du moins sa joie, dans une résurrection du style rabe- laisien, dans un Pantagruel àw. XIX^ siècle, où ce géant normand eût englouti ses bonshommes de la Bovary et de V Education, ses ombres chinoises de Salammbô et de la Tentation, comme Gar- gantua fait des six pèlerins avec sa salade, les arrosant d'un horrible traict de vin pineau. Il y a dans la Correspondance une lettre en langage de Rabelais, où l'on trouve une autre succu- lence que dans les pâles Contes Drolatiques de Balzac !

Le style définitif et vrai de Flaubert est évidemment le deuxième, et pour celui qui aime en ses secrets, en son âme, la langue française, il n'est pas d'étude plus passionnante que de le voir se dégager des deux autres. Mais est-ce lui qui se dégage, ou est-ce Flaubert qui le dégage ? Nous en revenons toujours à la même question, en laquelle il ne faut pas voir une pure

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