296 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
que Taine est un modèle ; car, puisque le style naturel ne s'apprend pas, il reste que c'est dans Taine et dans les écrivains qui lui ressemblent que Ton apprendra le style qui se peut apprendre. "
La ** question Taine " est donc celle de savoir si un style peut naître de la volonté. Mais, entre parenthèses, et avant d'aborder cette question formelle, je dirai que, sur la question matérielle, celle de Taine lui-même, je ne suis ni de l'avis de M. Faguet, qui est aux antipodes de la vérité, ni tout à fait de celui de M. Gourmont. Volontaire et artificiel, ou non, le style de Taine n'est point d'abord un style plastique, tout en relief et en images, mais avant tout un style oratoire. " Taine, dit M. de Gourmont, est nettement un écrivain sensoriel. " Oui, mais il l'est secondaire- ment, et son écriture sensorielle ne figure jamais qu'un moyen, au service d'une fin oratoire. In historia orator, le mot dont il épigraphie son Tite-L'we s'applique à lui. Pour que son style mobilise, déploie, exploite toutes ses richesses, il faut que ces richesses soient disposées en vue d'un ordre logique, en vue d'une preuve. Quand on y regarde de près, c'est la même édu- cation classique, celle de Cicéron et du Conciones, qui produit Cousin et Taine, la forme oratoire vide et la forme oratoire pleine : la baudruche et le marbre ont ici des lignes pareilles. Tout chez Taine est orienté vers la preuve, vers la thèse ; homme complet, sensitif éveillé, qui enregistre facilement dans ce qu'il écrit l'apport abondant de sa mémoire émotive, il n'admet cet apport sensuel que pour le faire passer en maçon- nerie, en architecture. Lorsqu'il peint pour peindre, dans Graindorge, dans le Voyage en Italie, le dessin de sa phrase reste le même, mais rien ne vit, rien ne chante, le livre devient pesant, artificiel, il ennuie. Taine ne donne sa mesure, il n'est lui-même, que dans ce qu'il appelle un palais d'idées, et seul de son temps il a réussi à construire de ces palais très amples, très équilibrés, dans le goût de la Renaissance : artiste complet il en est à la fois l'architecte et le décorateur ; dans les substruc-
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