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24 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

contraire il la déborde, il ne peut s'y réduire, y rentrer, s'y tasser. Ça ne s'arrange pas : les deux pièces n'ont pas été faites l'une pour l'autre : " Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé. " ^ Il se débat à la renverse dans ce cloaque où s'il pouvait du moins disparaître ! Mais non ! il surnage irrémédiablement, il n'arrive pas à enfoncer. Et comme elle fait son tourment, sa merveilleuse innocence fait aussi son indiflPérence pour l'humanité entière, sa colère et sa haine. En effet, comment cet être intact et despotique ne serait-il pas mortellement dégoûté par notre aptitude à la misère, par notre amitié avec la douleur, par cette sorte de basse aisance à vivre, d'accep- tation à l'avance de cela même qui va nous désoler ? Joie ou malheur, nous sommes ceux pour qui ça fonctionne bien. Le bonheur, après tout, n'est pour nous que supplé- mentaire ; ' ce n'est que par acquit de conscience que nous nous plaignons de ne le pas obtenir ; la proportion si infime pour laquelle il entre dans la vie, au fond est justement calculée. En d'autres termes, nous sommes dans une harmonie profonde avec cette vie ; nous nous arrangeons toujours avec elle, quelque tour qu'elle nous joue ; nous lui sommes complices. Voilà ce que Rimbaud exècre en nous, lui qui de tout son être est en malaise

' Lettre à M. Izambard du 25 Août 1870, Nouvelle Rrvue Française du i" Janvier 1912, p. 25.

  • " Je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur ", dira

Rimbaud dans la Saison en enfer {Délires II : Alchimie du rerbe. Œuvres, p. 294) j c'est-à-dire : je vis que les hommes sont toujours heureux, et quoi qu'il leur arri've, d'une sorte de bonheur médiocre, fixe, constant, qui n'a pas besoin d'aliment. Autrement dit î ils ne dennent pas au vrai bonheur, à celui qui leur serait apporté du dehors comme un message, une récompense, une vérité.

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