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contemplations muettes devant sa maîtresse, et restait partagée entre l’admiration et une secrète terreur. Quand elle s’arrachait à cet état si étrange pour elle, elle sortait de la chambre sur le bout du pied, sans faire de bruit, et s’en allait dans la cuisine s’écrier :

— Jésus ! Jésus ! que Mademoiselle Emmelina ressemble à la Sainte Vierge !

La grande crise qui avait lieu autour de la jeune extatique ne produisit donc aucune impression sur cette imagination perdue dans une autre sphère, et M. Irnois dut se passer, dans ses hautes préoccupations, des sollicitudes filiales. Du reste, il n’en sentit pas le vide ; il ne pouvait être exigeant, et il était d’ailleurs si absorbé, suspendu entre la crainte et l’espérance, écoutant tour à tour les conjectures de son conseil privé et les importantes communications de son tailleur, qu’il n’avait pas le temps de chercher à diviser ses pensées entre sa présentation à l’Empereur et la tranquillité trop complète de sa fille ; il lui eût été d’ailleurs impossible de rêver à la fois à deux choses différentes.

Enfin il arriva, ce grand jour où, aux yeux émerveillés de toute la maison, dont les locataires, avertis, s’étaient ameutés sur les différents paliers, M. Pierre-André Irnois franchit le seuil de sa porte en grand costume de cour, suivi du secrétaire intime qui, laquais ce jour-là, descendait l’escalier en se laissant glisser le long de la rampe pour arriver plus vite à la voiture de louage et ouvrir la portière.

M. Irnois, le riche capitaliste, était d’autant plus laid et disgracié de la nature en cette circonstance mémorable, que sa toilette était plus somptueuse et étalait davantage