Page:NRF 12.djvu/282

Cette page n’a pas encore été corrigée

Emmelina sourit doucement, en regardant qui lui parlait ; mais elle ne répondit pas, et ne parut même avoir compris que médiocrement ce qui lui avait été dit. Sa mère la contempla avec anxiété, puis leva les yeux au ciel en soupirant profondément. Dans ce moment, Mme Irnois ne fut plus la grosse et sotte bourgeoise que nous connaissons, mais une espèce de Niobé, tant il y avait de vraie et profonde douleur dans ce regard lancé vers les régions où l’on va si souvent en vain demander soulagement.

Emmelina, de jour en jour, devenait plus absorbée. Elle n’était pas plus triste ; mais elle parlait encore moins, et ne s’intéressait plus à rien absolument ; ni le bavardage de ses tantes, ni les caresses de Jeanne, ni Peau d’Ane, ni l’ourlet ne pouvaient plus rien sur elle ; les tendresses mêmes de sa mère ne semblaient plus lui tenir à cœur : autrefois du moins, elle les cherchait ; maintenant elle paraissait plutôt les éviter, car elle les recevait avec indifférence ou montrait même en être impatientée.

Et cependant, était-elle malheureuse ? Ce n’était pas croyable, car elle avait parfois sur la bouche et dans les yeux comme un fin sourire, comme une flamme subtile qui dénotait un bien-être infini. Quand on la regardait à la dérobée, on la voyait plongée dans une sorte d’extase qui semblait l’enivrer des plus ardentes délices : elle ressemblait alors à une des saintes du Moyen Age, et si les gens de son entourage eussent su ce que c’est que l’intelligence, ils en auraient vu la plus sublime expression sur cette physionomie inspirée. Il fallait que cette puissance de l’exaltation fût pourtant bien vive, car Jeanne tombait quelquefois dans des