humaines, un bonheur où s’allait échauffer le peu de poésie de ces grossières cervelles, un bonheur où se confondaient toutes les affections. Quel lien commun auraient eu les cœurs de Mlles Maigrelut, de Mme et de M. Irnois sans ce point lumineux de leur vie ? Le cent de piquet sans doute, c’est bien quelque chose ; le reversis encore ; mais avec la meilleure volonté du monde, ce n’est pas tout ; et ce que le cent de piquet et le reversis ne suffisaient pas à donner de chaleur, de vie et de douceur à ce cercle bourgeois, c’était Emmelina qui le donnait.
Emmelina ! Quand on avait dit Emmelina dans la maison, on avait tout dit : maîtres et valets pensaient tout le jour à procurer à Emmelina la plus grande satisfaction possible. Sans Emmelina, il n’y avait rien ; avec elle il y avait tout. Père, mère, tantes, servantes et secrétaire intime riaient, pâlissaient et pleuraient tour à tour, suivant l’accent avec lequel ce nom : Emmelina, était prononcé le matin par la grosse Jeanne, la femme de confiance, à son sortir de la chambre sacrée.
La passion de tous ces honnêtes gens pour l’être chéri n’était pas identique, de même valeur et de même poids. M. Irnois faisait peu de bruit de son affection, n’en parlait jamais que je sache, mais la ressentait plus vivement, plus sérieusement que personne. La seule manière dont il manifestât son amour pour sa fille était de ne pas la rudoyer comme il faisait les autres. Il aimait Emmelina sans trop le savoir ; et comment l’aurait-il su, lui qui, de sa vie, n’avait réfléchi ni aux choses, ni aux hommes, ni à lui-même ? Sa fille ne pouvait l’empêcher d’être maussade,