Page:NRF 12.djvu/234

Cette page n’a pas encore été corrigée

228 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

soit, mais pour empêcher quelque chose de passer. Cette masse confuse des brouillons, cette dépense de phrases soudaine et désordonnée, c'est le réseau qu'il jette tout de suite sur l'objet entr'aperçu pour l'entraver n'importe comment et d'abord le retenir. Mais une fois qu'il a créé autour de lui une région d'embarras et qu'il l'a mis ainsi en réserve, à l'abri de la fuite, son effort n'est plus que pour le rejoindre. L'approche commence, — une approche de partout à la fois, une précision croissante sur tous les points, une marche de concentration, un appel à distance des mots les uns par les autres, une détermination réci- proque et convergente des éléments les plus éloignés de la phrase. C'est alors que nous voyons tomber toutes les propositions qui n'intéressent pas véritablement l'objet. Nous sentons celui-ci au bout de toutes les économies qui s'accomplissent presque automatiquement sous nos yeux ; son pouvoir immobile s'exerce sur les mots qui l'assiègent ; il les décime sans bouger. Et ceux qui succombent témoignent de sa présence avec la même évidence que ceux qui restent.

L'apparition du rythme dans la phrase coïncide avec l'instant où elle touche l'objet. Nous avons remarqué que le rythme, chez Rimbaud se faisait jour intérieurement ; au lieu de s'élancer d'un jet comme une plante folle et de chercher au dehors les mots qui le soutiendront, nous le voyons sourdre par places entre les mots déjà assemblés; il n'est rien qu'une sorte de disposition immédiate que prend la phrase et qui manifeste au dehors l'état profond où elle entre au même moment. Cette allure morcelée, ces accents si nettement, si strictement marqués, ce jeu si serré des temps forts et des temps faibles, ne sont-ils pas

�� �